Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/128

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d’ossature ; ils sont plus vifs et alertes d’esprit, mais à la fois plus mobiles et plus indolents, plus méditatifs et moins décidés, par suite plus apathiques et moins entreprenants. Moins éprouvés par le climat et par le despotisme oriental, le Petit-Russien et le Russien-Blanc ont plus de dignité, plus d’indépendance, plus d’individualité que le Grand-Russien ; ils ont l’esprit moins positif, plus ouvert au sentiment et à l’imagination, plus rêveur, plus poétique[1]. Toutes ces nuances de caractère se retrouvent dans les mélodies et les chants de chacun des deux groupes, dans leurs fêtes et leurs coutumes populaires, bien que les diversités provinciales aillent en s’atténuant sous l’influence du rameau grand-russien, qui tend à s’assimiler les Russes occidentaux comme les autres populations de l’empire. Le contraste est encore visible dans la famille et dans la commune, dans la maison et dans les villages des deux tribus. Chez le Petit-Russien, l’individu est plus indépendant, la femme, plus libre, la famille, moins agglomérée ; les maisons sont plus espacées, et souvent entourées de jardins et de fleurs.

Ces Petits-Russes soumis, grâce à la domination polonaise, à l’influence occidentale, ont, vers le dix-septième siècle, été les premiers intermédiaires entre l’Europe et la Moscovie, à laquelle, outre le voisinage, les rattachaient des affinités de langue et de religion. Avant Pierre le Grand et, en partie même sous ce prince, c’est par leur entremise que s’exerça principalement l’ascendant de l’Europe sur Moscou et la Russie.

C’est à la Petite-Russie qu’appartenaient les Zaporogues, la plus célèbre de ces tribus cosaques qui, entre la Pologne, les Tatars et les Turcs, jouèrent un si grand rôle dans l’Ukraine ou les steppes du Midi, et dont le nom demeure toujours pour les Russes synonyme de vie libre et indépendante. Aujourd’hui encore le Kazalchestvo, avec ses

  1. Pour les chants petits-russiens, qui disputent aux chants serbes la palme de la poésie populaire slave, le lecteur pent consulter Bodenstedt, Die Poetische Ukraine (1845), et M. A. Rambaud, la Russie épique (1876).