Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/135

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rine II, entre la Grande-Russie d’un côté et la Livonie, la Lithuanie, la Pologne d’un autre, il y a la Russie-Blanche et la Petite-Russie, lesquelles, n’étant pour ainsi dire Russes que de second degré, sont bien moins propres à russifier autrui. Cet inconvénient est aggravé par le peu de population de la Russie-Blanche et des Marais de Pinsk dans la partie voisine de la Petite-Russie. Ces deux contrées creusent, entre les régions les plus peuplées de la vieille Moscovie et ses conquêtes des deux derniers siècles, une sorte de golfe à demi désert qui, malgré les beaux travaux d’assèchement des marais du Pripet[1], ne saurait rapidement se combler. Les Polonais, les Lithuaniens les Lettons, les Allemands de l’ouest se trouvent ainsi défendus contre la russification par une double barrière, ce qui en fait comprendre le peu de progrès. Une autre considération explique encore le même phénomène. La population, comme l’eau, tend naturellement à se porter du côté du vide et à reprendre son niveau ; c’est vers l’est ot l’Asie, et non vers l’ouest et l’Europe, c’est vers les régions orientales, encore mal peuplées, et non vers des provinces à population souvent plus dense que l’intérieur de l’empire, que s’écoule naturellement l’excédent de la population russe.

En face des 68 ou 70 millions de Russes, les populations non russifiées ne forment pas, dans la Russie d’Europe, en dehors de la Finlande, du royaume de Pologne et du Caucase, plus de 14 à 15 millions d’âmes, divisées en plus de dix peuples et en presque autant de langues et de religions. En comprenant le royaume de Pologne et la Finlande, ce chiffre monte à 24 ou 25 millions, et à trois ou quatre de plus avec la Babel du Caucase, qui devrait plutôt être regardée comme une colonie, et qui compte seule presque autant de peuples et de tribus que le reste de

  1. Les travaux effectués dans cette région constituent une des plus belles entreprises de ce genre en Europe. En 1889 on avait déjà assaini environ 1 500 000 hectares.