Par ses rigueurs et ses exigences le climat russe incline l’homme au réalisme ; par la grandeur de ses plaines et leur monotonie, par son immensité et sa pauvreté, la nature le dispose au mysticisme en même temps qu’à la tristesse. C’est là pour nous la clef de beaucoup des contrastes du tempérament russe. De ce conflit ou de cette alliance de tendances, souvent opposées et en apparence inconciliables, on pourrait trouver plusieurs illustrations au fond même du peuple, dans les ignorantes sectes de la Grande-Russie. Ici, je prendrai comme exemple un phénomène non moins curieux, bien que moins spontané, moins foncièrement indigène. Je veux parler du « nihilisme » ou, comme disent les Russes, du niguilisme[1].
Comme presque toutes les conceptions théoriques des Russes, le « nihilisme » n’est dans son principe qu’une importation occidentale. C’est de l’Europe et de la philosophie allemande surtout que, sous le règne de Nicolas, sont venues à la Russie les premières semences intellectuelles de cet esprit de négation et de révolte qui, dans la patrie de l’autocratie, à l’ombre d’un absolutisme séculaire, a
- ↑ En russe la lettre h n’existe pas, on la remplace dans les mots d’origine étrangère par un g.