Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/221

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cultés. Si l’on a pu reprocher parfois aux hommes quelque chose de féminin, c’est-à-dire de mobile, de flexible, de ductile ou d’impressionnable à l’excès, les femmes, en compensation, ont dans le caractère et dans l’esprit quelque chose de fort, d’énergique, de viril en un mot, qui, loin de rien enlever à leur grâce et à leur charme, leur vaut souvent un singulier et irrésistible ascendant.

La femme russe, qui par l’intelligence et le caractère se sent l’égale de l’homme, est portée à revendiquer cette égalité, avec ses avantages et ses inconvénients : égalité devant l’enseignement et le travail, égalité de droits, égalité de devoirs. On a vu, et cela quelquefois dans des familles aisées, des jeunes filles ou des femmes mariées mettre leur amour-propre à se suffire à elles-mêmes, prétendre gagner leur vie sans le secours de leur mari ou de leur père. Femmes, et jeunes filles surtout, se sont précipitées sur toutes les carrières ouvertes à leur sexe, non sans réclamer instamment pour lui de nouveaux débouchés[1]. La passion pour l’instruction, pour la science même, a été l’une des conséquences de ce goût d’indépendance morale et matérielle. Les jeunes filles se sont pressées aux cours, aux gymnases, aux universités. Quelques-unes ont abordé les langues classiques ; un plus grand nombre se sont vouées aux sciences naturelles et à la médecine[2].

  1. Je dois dire que ce mouvement féminin a aussi des causes économiques dont il faut tenir compte : perturbation apportée dans maint budget domestique par l’émancipation, difficultés croissantes de la vie de famille avec le renchérissement de toutes choses, difficulté pour les jeunes filles d’une certaine classe de s’établir dans leur monde, particulièrement dans les villes, où le nombre des mariages a beaucoup diminué ; enfin certaines dispositions légales qui n’attribuent aux femmes, relativement aux hommes, qu’une part minime de l’héritage paternel.
  2. Sous l’influence de causes économiques ou morales analogues, le même besoin d’indépendance, le même effort pour se suffire à soi-même se sont fait jour chez les jeunes filles d’origine juive. Parmi les étudiantes en médecine enregistrées en 1875, les juives comptaient pour 32 pour 100. Cette proportion toujours ascendante s’élevait à près de 34 pour 100 en 1879, soit à plus du tiers de total. Ce chiffre s’explique par le fait que, grâce aux entraves