Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/236

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rents. La jeunesse russe croyait avec plus de ferveur que nous-mêmes aux lumières et aux libertés de l’Occident, elle croyait, avec l’ardeur d’une foi de néophyte, à la vertu et à la sainteté des principes de 1789, à l’infaillibilité de l’humaine révélation apportée par la révolution.

Vers le milieu du siècle, il s’est, nous l’avons dit, accompli dans l’intelligence russe un soudain et violent revirement ; mais celle évolution de l’esprit russe ne devait pas toujours tourner au profit des slavophiles et des admirateurs du passé national. Cette civilisation dont il attendait le salut, le Russe, en la voyant de près, en en touchant les défectuosités, en l’entendant nier et maudire par beaucoup de ceux mêmes qui en avaient été nourris, le Russe s’est pris à en douter. Il a vu que l’Occident n’avait, pour la souffrance et la misère, que des remèdes incertains ou de vains palliatifs, et notre liberté, notre science, notre richesse lui ont paru un mensonge, une duperie. Toutes les institutions et les formules, qui lui inspiraient un pieux respect, ne lui ont plus semblé qu’une hypocrite et sacrilège profanation des vérités entrevues aux jours de sa naïve et juvénile ferveur. Le Scythe moderne a cru découvrir le néant de cette culture gréco-latine, dont l’éclat l’avait ébloui, et, avec la mobilité du Russe prompt à se jeter d’une extrémité à l’autre, avec l’amère indignation d’un croyant désabusé et honteux d’avoir si longtemps été crédule, il a blasphémé ce qu’il adorait la veille. Le Russe du dix-neuvième siècle a renié le culte de son enfance comme une puérile superstition ; il s’est fait un devoir et un plaisir d’injurier, en attendant qu’il pût les briser, les faux dieux qu’il s’était plu à encenser ; il a renversé du piédestal, que ses mains leur avaient élevé, toutes ces brillantes et vaines idoles dont la séduisante beauté avait fasciné sa jeunesse ; il a juré de détruire le temple orgueilleux érigé à ces trompeuses divinités modernes, qui, sous les noms usurpés de liberté, d’égalité, de fraternité, maintiennent parmi les hommes l’erreur, la discorde et le sordide esclavage de la