Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/247

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sement c’est là une trop haute question pour être effleurée en passant ; nous la réserverons pour l’étude de l’Église russe[1]. Il nous suffira de remarquer ici que, pour être moins propice au progrès de ses prosélytes, la foi grecque n’avait pas besoin d’être inférieure à la foi latine. En tenant la Russie à l’écart de l’Occident, l’Église orientale lui enlevait un des principaux avantages de sa conversion ; elle la privait du bénéfice de cette grande communauté intellectuelle dont Rome était le centre, et qui, pour l’Occident, fut l’une des plus favorables conditions de la civilisation. La Russie demeura comme une excommuniée à la porte de la république chrétienne ; moralement aussi bien que physiquement, elle resta exilée aux frontières de l’Europe.

Le christianisme rapprocha par Constantinople la Russie de l’antiquité. Sous les grands kniazes[2] de Kief, elle devint une sorte de colonie de Byzance ; ce fut ce qu’un de ses écrivains appelle le premier de ses servages intellectuels[3]. Les métropolitains russes étaient grecs, les grands-princes se plaisaient à épouser des princesses grecques et à visiter le Bosphore. Les nombreuses écoles, établies par Vladimir et Iaroslaf, furent fondées par des Grecs sur le modèle byzantin. Pendant plus de deux siècles, Constantinople et sa fille entretinrent des relations étroites par le commerce, la religion, les arts. Byzance imprima aux mœurs, au caractère, au goût des Russes une marque encore visible sous l’empreinte talare qui la vint recouvrir.

Le premier type de société qu’offrait au jeune empire russe la civilisation, c’était le bas-empire et l’autocratie, un État sans droits politiques, régi par l’omnipotence impériale à l’aide d’une hiérarchie de fonctionnaires. Ces leçons

  1. Le IIIe volume de cet ouvrage est consacré à l’Église et aux sectes russes. On y verra dans quelle mesure les idées et les pratiques païennes ont parfois persisté sous les rites chrétiens.
  2. Du russe Kniaz, prince, rapprocher, Knight, King, König, Könung des langues germaniques.
  3. M. Kavéline, Misly i zamélki o rousskoi istoria.