Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/258

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C’est aux Mongols, disait au commencement du siècle Karamzine, que Moscou est redevable de sa grandeur et la Russie, de l’autocratie. Cette opinion est aujourd’hui contestée par le patriotisme russe : il préfère chercher les fondements de l’autocratie moscovite dans les conditions physiques et économiques de la Grande-Russie, dans le caractère même du Grand-Russien, dans ses institutions à forme primitive ou patriarcale, dans sa conception de la famille et de la souveraineté domestique.

Autrefois on expliquait toute la Russie, le caractère de la nation comme la nature du gouvernement, par la domination mongole. De nos jours cette opinion a perdu presque tout crédit. Parmi les historiens contemporains, la plupart regardent le long règne des Tatars comme une simple superposition d’un élément étranger dont le poids, il est vrai, a lourdement pesé sur le peuple conquis, mais sans que les mœurs ou l’esprit de l’envahisseur asiatique aient aucunement pénétré dans le foyer ou dans l’âme de ses vassaux russes. À ce contact de trois siècles avec les héritiers de Genghiz, on ne reconnaît qu’une influence extérieure, superficielle, toute mécanique. À cette longue période de la Tatarchtchina on n’attribue guère d’importance que par ses effets indirects, par l’isolement où elle a jeté la Russie, par le brusque arrêt apporté à sa croissance normale[1].

On ne saurait s’étonner de cette réaction contre les anciens historiens et les anciennes opinions. Tous les peuples aujourd’hui refont à peu près leur histoire dans le même sens, s’efforçant de réduire ou d’éliminer de leur vie nationale tout ce qui vient de l’étranger et surtout de la conquête. Ainsi font souvent les Anglais pour la conquête normande, ainsi faisons-nous nous-mêmes pour

  1. Le grand historien moscovite, M. Solovief, a été jusqu’à dire que les trois siècles de sujétion tatare n’avaient guère laissé plus de vestiges en Russie que les rapides incursions des Petchénègues et des Polovtsy.