Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/273

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reurs, les Grecs affluèrent à Moscou. Ils y apportèrent l’étiquette byzantine et des traités de dévotion ; ils n’avaient pas là, comme en Occident, les lettres et le génie classiques à ranimer sous les cendres de l’antiquité. La Russie, avec les Grecs, eut beau faire venir quelques artistes italiens, quelques techniciens allemands, elle n’eut ni l’art, ni la littérature de l’Europe, ni l’imprimerie, qui multipliait la pensée, ni les découvertes géographiques, qui, avec la conception du monde, élargissaient l’esprit moderne[1].

En sortant de l’invasion tatare, la Moscovie s’était réveillée en plein moyen âge : encore sans les croisades et la chevalerie, sans les troubadours ou les trouvères, sans les scolastiques et les légistes, n’avait-elle eu qu’un moyen âge tronqué. Sans la Réforme, sans la Renaissance, sans la Révolution, son histoire moderne a été plus incomplète encore. Des grands faits comme des grandes époques de l’Europe, du douzième au dix-huitième siècle, elle n’a ressenti qu’un lointain contre-coup. Que serait un peuple de l’Occident auquel tout cela aurait manqué, et par où combler de tels vides ?

Privée de tout ce qui remplit celles des nations occidentales, l’histoire de la Russie apparaît pauvre, terne et déserte comme ses plates campagnes du Nord ; souvent émouvante et dramatique, elle ressemble trop fréquemment à ces romans ou à ces pièces de théâtres dont tout l’intérêt est dans l’intrigue et les péripéties des faits. Nul peuple n’a reçu des siècles une éducation aussi défectueuse et en même temps aussi douloureuse. Il lui a été refusé de regagner en originalité ce qui lui a manqué en variété. La Russie a eu assez de voisins et de rapports avec eux pour toujours rester dans l’imitation. Elle a passé successivement sous le joug moral du Grec et du Tatar, du Lithuanien et du Polonais, pour

  1. Ivan le Terrible protégea l’introduction de l’imprimerie à Moscou ; mais les premières presses russes, mal vues du peuple, ne donnèrent que des livres de dévotion.