Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/281

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Avant tout il apprend à son peuple la discipline ; il lui montre à se soumettre à des étrangers dont il a fait les instituteurs du pays en même temps que les siens. En vrai réformateur, la première leçon que donne Pierre le Grand, c’est l’exemple ; il le donne, il le prodigue. Il met lui-même la main à tout, à la pioche du terrassier, à la hache du bourreau. Jamais on n’a vu un homme s’exercer à tant de métiers à la fois. C’est un artisan universel, il sait tout fabriquer de sa main, des bateaux, des modèles de vaisseaux, des poulies, tout ce qui touche à la marine, son occupation favorite ; il se plaît à faire des chefs-d’œuvre d’ouvrier ; il est artiste aussi bien qu’artisan, il sait graver, sculpter. Le génie souple et facile du Grand-Russe, non moins que ses tendances réalistes, se montre chez l’empereur jusqu’à l’exagération. À l’opposé des réformateurs de cabinet, c’est l’exécution qui lui tient le plus à cœur. Il s’applique à tout avec une ardeur égale, réformant l’alphabet et le calendrier en même temps que l’administration, l’Église et la société, demandant des projets à Leibniz aussi bien que des modèles aux artisans, rassemblant des objets d’art et des collections scientifiques tout en créant la marine et refondant l’armée, apportant à l’industrie des fabrications nouvelles, à l’agriculture des races d’animaux étrangères, et, comme s’il n’avait eu le temps de rien faire, laissant à l’avenir des plans sans nombre, sur chaque sujet et pour toutes les contrées de son vaste empire.

Cette œuvre multiple est une. Les conquêtes et les travaux publics de Pierre le Grand sont le corollaire de sa réforme sociale, le déplacement de sa capitale en est à la fois le symbole et le moyen. Quand il construisait Pétersbourg et que par des canaux il unissait la Neva au Volga, il donnait au long fleuve russe une embouchure européenne, et, en renversant le cours de sa grande artère centrale, il faisait pour ainsi dire refluer la Russie vers l’Occident. Au moral comme au physique, c’était la même