Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/313

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à nourrir des soldats. C’était une sorte de servage d’un nouveau genre, dont les promoteurs se flattaient de tirer grand avantage pour les forces et les finances de l’empire. La résistance des paysans, qui alla parfois jusqu’à la révolte, dut, sous Nicolas, faire abandonner cette tentative, Alexandre II obéit à cet égard à des tendances tout opposées à celles qui prévalaient sous Alexandre Ier. Le service militaire, abrégé de durée et rendu obligatoire pour tous, portera un coup sensible à toutes les distinctions de castes. Au lieu d’être un corps isolé et un sujet de privilèges ou de servitudes, l’armée deviendra un instrument d’égalité, elle sera un des principaux moyens de fusion des classes et des rangs[1].

Il est dans l’armée, ou plutôt dans les forces militaires de la Russie, un groupe considérable qui continue à former une catégorie à part, et demeure à quelques égards une classe distincte, une caste guerrière ; ce sont les Cosaques. Sur les frontières méridionales de l’empire, sur le cours inférieur du Don, du Volga, de l’Oural, du Kouban, du Terek, se retrouvent encore des populations d’origine diverse, toutes vouées également à une organisation militaire. Les Cosaques n’ont que cette ressemblance avec les colonies de soldats d’Alexandre Ier ou les anciens confins militaires de l’Autriche. En échange de leurs charges spéciales, ils ont eu de tout temps des immunités auxquelles ils étaient fort attachés ; aussi étaient-ils regardés comme des populations privilégiées, bien que leurs prérogatives personnelles et corporatives aient été singulièrement réduites dans le cours des siècles. À l’étranger, le nom de Cosaque, lié à des souvenirs d’invasion, éveille l’idée de barbarie et de pillage ; en Russie, le même nom, attaché aux souvenirs de la vie indépendante de la steppe, rappelle les idées de liberté et d’égalité. « Libre comme un

  1. Le service obligatoire, mitigé par certains tempéraments, a été établi en 1874. La durée du service est, depuis 1888, de 5 ans dans l’armée active, de 13 ans dans la réserve ; on reste dans l’armée territoriale jusqu’à 43 ans.