Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/320

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espaces que la population ne peut remplir ni animer. Aussi, pour le voyageur arrivant de l’Europe, la plupart des villes moscovites ont-elles quelque chose de vide, de désert, d’incomplet ; elles font souvent l’effet de leurs propres faubourgs, et l’étranger en est sorti quand il se croit sur le point d’y entrer. Pour lui, le plus grand nombre de ces villes ne sont que de grands villages, et de fait entre ville et village, pour le mode de construction comme pour la manière de vivre des habitants, il y a moins de différence en ce pays que partout ailleurs. La Russie tout entière ne fut pendant des siècles qu’un village de plusieurs milliers de lieues carrées. Pendant une longue partie de son histoire, pendant la période moscovite, il n’y avait guère en Russie qu’une ville, la capitale, la résidence du souverain et encore celle-ci n’étaii-elle qu’une vaste bourgade de bois, dispersée autour d’une forteresse de pierre. Ce n’est que depuis l’incendie de 1812 et la reconstruction qui l’a suivi, depuis que la pierre ou mieux la brique ont relégué les édifices de bois dans les faubourgs et permis aux maisons de s’élever et de se rapprocher, que Moscou a réellement pris l’apparence d’une grande cité. Les chefs-lieux de gouvernement, peu à peu réédifiés sur le modèle de la vieille capitale rajeunie, sont d’ordinaire encore pour nous les seules villes dignes de ce nom[1].

En comparant les surfaces, on trouve que dans la Russie européenne, même quand on décore de ce titre une foule de bourgades aux trois quarts rurales, les villes sont dix, quinze, vingt fois plus espacées que dans l’Europe occidentale. Il y a là un contraste des plus frappants et qui n’est point sans influence sur toutes les relations de la vie. En

  1. Il y a dix ans, la Russie, en dehors de Varsovie et du royaume de Pologne, ne comptait que quatre villes ayant 100 000 habitants : Pétersbourg, Moscou, Odessa et Riga, encore cette dernière est-elle beaucoup plus allemande que russe. Aujourd’hui même, à peine y a-t-il dix villes atteignant ce chiffre : les quatre précédentes, Kief, Kharkof, Saratof, Kazan, Vilna, peut-être Lodzy, le Manchester polonais, peut-être Berditchef, le grand marché juif de l’ouest, et enfin Kichinef, l’immense village à demi roumain de la Bessarabie.