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CHAPITRE II


Comment le monopole de la propriété territoriale n’a pu conférer à la noblesse aucun pouvoir politique. — Raisons historiques de cette anomalie. La droujina des kniazes et le libre service des boyars. — Ancienne conception de la propriété : la voltchina et le poméstié. — Le service du tsar, unique source de la fortune. — Les disputes de préséance et le mésinitchestvo. — Pourquoi il n’en pouvait sortir de véritable aristocratie. — À la hiérarchie des familles succède la hiérarchie des individus. — Le tableau des rangs et les quatorze classes du tchine. — Résultats de cette classification.


Cette autorité, cette indépendance des aristocraties politiques, la noblesse russe ne les a jamais possédées. Elle n’en jouissait point au temps récent où elle avait seule droit à la propriété du sol, et où les cultivateurs de ses terres étaient ses esclaves. Pour expliquer cette apparente anomalie d’une noblesse en possession exclusive de la terre et dénuée de la puissance que partout donne la propriété, il faut remonter dans le passé aux origines de la noblesse et de la propriété russes. Une aristocratie est l’œuvre des siècles, la force s’en mesure à la profondeur de ses racines. Celles de la noblesse russe sont aisées à mettre à nu. Dès une époque reculée, l’histoire nous montre le dvorianstvo sous les deux faces qu’il a conservées, sous le double aspect de serviteur de l’État et de détenteur du sol ; l’histoire nous découvre le lien du propriétaire et du fonctionnaire ; elle nous fait voir comment l’un a toujours maintenu l’autre dans la dépendance et la subordination.

Chez les anciens Slaves russes, il n’y avait, semble-t-il, ni noblesse ni aristocratie d’aucune sorte. Le plus lointain ancêtre de la noblesse russe est la droujina, qui apparaît