Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/398

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familles. Le règne d’Anne Ivanovna et de Biren fournit à cet égard nombre d’anecdotes instructives. Les héritiers des plus grands noms étaient, pour l’amusement de la cour, contraints à jouer le rôle de fou. Un jour, voulant punir certain prince Galitsyne de je ne sais quelle peccadille, l’impératrice lui ordonna de faire la poule, et le descendant des Jagellons, accroupi sur la paille, dut publiquement couver des œufs en imitant le gloussement d’une poule qui pond[1]. De tels traitements montrent de quelle estime, de quelle autorité jouissait cette haute noblesse au milieu du dix-huitième siècle, sous le règne même de la princesse dont les Galitsyne et les Dolgorouki avaient un moment prétendu limiter le pouvoir au profit d’une sorte d’oligarchie.

Jusqu’aux dernières réformes du règne d’Alexandre II, les nobles étaient personnellement en possession de trois privilèges principaux, et encore les partageaient-ils depuis longtemps avec les classes dites privilégiées, c’est-à-dire avec le clergé et les marchands. Ils étaient affranchis de la conscription militaire, affranchis de l’impôt direct ou capitation, affranchis enfin des châtiments corporels. De ces trois immunités, la première a été abrogée par l’introduction du service obligatoire, en 1876 ; la dernière a été étendue à toutes les classes ; la seconde a déjà, elle aussi, cessé d’être un privilège, la suppression de la capitation ayant été décidée par Alexandre III. Pour le mougik, comme pour le propriétaire noble, l’impôt sur les biens doit remplacer l’impôt sur les personnes. La noblesse russe n’a point d’exemption d’impôts, d’exemption de la taille. Au temps du servage, la capitation retombait indirectement sur elle en pesant sur ses serfs, et aujourd’hui ses biens, diminués par l’émancipation, sont directement frappés par le fisc. Les charges des propriétaires nobles sont encore, il est vrai, moins lourdes que les charges des communes de

  1. Une autre fois et par une plaisanterie moins innocente, la même impératrice forçait le même Galitsyne à épouser une vieille idiote.