Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/402

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et indénouable du majorat peut seul maintenir à la noblesse la possession exclusive de la terre. N’étant plus protégée contre autrui et contre elle-même par l’impossibilité de vendre à des gens d’une autre classe, n’étant point couverte par le régime des successions, la noblesse russe demeure exposée à une lente expropriation au profit de la bourgeoisie ou des paysans qui chaque année s’emparent à ses dépens d’une plus large partie du sol ; avec le monopole de la propriété individuelle, elle perdra tout caractère propre, toute prépondérance sociale, elle perdra sa principale raison d’être[1].

Les anciennes prérogatives garanties jadis au dvorianstvo tombant ainsi une à une ou dégénérant en fictions, que restera-t-il à cette noblesse sans privilèges pour la distinguer du corps de la nation ? Il lui restera bien peu de chose, si peu qu’on se demande ce qu’auraient à perdre les nobles à la suppression de la noblesse. Sans qu’on y voulût toucher, sans qu’on eût l’intention de le diminuer, le dvorianstvo s’est vu dépouiller de presque tous ses droits, par le fait seul des changements opérés autour de lui. La noblesse a pratiquement été quasi abrogée par les réformes d’Alexandre II, sans même avoir été mentionnée. Si elle reste debout, c’est comme un arbre au pied duquel on aurait fouillé le sol, dont on aurait par mégarde atteint les racines, et qui, dans la terre bouleversée autour de lui, ne trouverait plus de point d’appui contre le premier vent d’orage. La noblesse, en Russie comme en d’autres contrées, finira par de venir une simple distinction honorifique, sans importance sociale, sans valeur politique, une distinction de vanité, ayant d’autant moins de prix qu’elle sera plus commune et aura

  1. Une autre raison contribue à diminuer l’ascendant de la noblesse, c’est le petit nombre des riches propriétaires qui résident dans leur domaine. Aussi des écrivains à tendances aristocratiques, le prince Mechtchersky par ex. (Voulikou vréméni, 1879), réclamant les principales fonctions locales pour la noblesse territoriale, ont-ils imaginé de demander, avec plus ou moins de sérieux, que les nobles fussent tenus d’habiter leurs terres durant une certaine partie de l’année.