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LIVRE VII
LE PAYSAN ET L’ÉMANCIPATION DES SERFS.




CHAPITRE I


La littérature russe et l’apothéose du moujik, — Diverses classes de paysans. — Origine et causes du servage. — La corvée et l’obrok, — Situation des paysans avant l’émancipation. — Napoléon III, libérateur des serfs.


Un théâtre de Paris a joué naguère une pièce française, d’auteur russe et de mœurs russes, — pièce originale et incomplète, accueillie du public français avec faveur sans en avoir peut-être été bien comprise ; je veux parler des Danichef[1]. Cette comédie, ou mieux ce drame, qui peint la société russe avant l’émancipation, a pour héros un paysan, et l’on pourrait dire qu’il a pour sujet la supériorité morale du moujik. La noblesse vaniteuse et frivole, le clergé dépendant et timide, le marchand enrichi et servile font triste figure devant l’homme du peuple, devant l’ancien serf Ossip. « Cet homme est grand, cet homme vaut mieux que nous, ma mère, » dit de cet affranchi le jeune comte Danichef. Ce mot donne le sens de la pièce. La conclusion peut-être inconsciente de ce drame rustique, c’est l’apothéose de l’homme du peuple aux dépens des classes privilégiées par la naissance, l’instruction ou la fortune. À ce point de vue, la comédie de l’Odéon, bien qu’écrite pour des Français et

  1. Cette pièce, dont l’auteur prend le nom de Nevsky, a été, on le sait, remaniée pour la scène par M. Alex. Dumas.