Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/452

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ici dans le détail de cette vaste et complexe opération, accomplie à la faveur, mais aussi avec tous les risques du cours forcé. Le principal besoin des propriétaires fonciers, subitement privés de leur capital humain, était de retrouver un capital argent. Pour eux, il eût fallu que l’indemnité de rachat fût immédiatement réalisable, et le papier donné par le gouvernement ne l’était pas ou ne l’était qu’à des conditions onéreuses. Les détenteurs des nouvelles obligations ayant presque tous à la fois besoin d’argent, l’offre des titres amena, sur ces valeurs, une dépréciation à laquelle les précautions du gouvernement ne pouvaient qu’imparfaitement parer. C’est là un des principaux motifs de la gêne, des souffrances même apportées à nombre de propriétaires par l’émancipation. Ce qu’il y a d’étonnant, ce n’est pas qu’une telle transformation ait amené une crise foncière et économique, c’est qu’avec des finances déjà embarrassées, la Russie en soit sortie sans être plus éprouvée. Les avances du gouvernement aux affranchis montaient, lors de l’avènement d’Alexandre III, à près de 750 millions de roubles, et, chose remarquable, lÉtat a pu ouvrir un pareil crédit au moujik sans gêne ni perte pour le Trésor[1]. Si l’opération était terminée, si tous les paysans avaient usé du concours du gouvernement et racheté le maximum des terres auquel la loi leur donnait droit, les avances de l’État auraient dépassé un milliard de roubles. Au 1er juin 1886, elles atteignaient 862 millions.

    paysans dans leurs versements. Ces arriérés, en effet, ont été assez considérables, mais inférieurs aux prévisions ; les payements ont même été parfois anticipés, si bien qu’au lieu d’endetter l’État, l’opération de rachat a fourni un boni de plusieurs millions de roubles.

  1. Le rouble métallique, on le sait, vaut 4 francs ; durant les années qui ont précédé la guerre de Bulgarie, le cours du rouble, coté en 1889 aux environs de 2 fr. 50, se rapprochait de 3 fr. 50. Au 1er avril 1880, le total des prêts effectués montait à 739 millions ; les annuités, perçues de ce chef en 1879, atteignaient 43 millions, auxquels s’ajoutaient 17 millions d’arriéré. La Banque de Russie avait avancé en moyenne 31 roubles 50 kopecks par dessiatine de terre et environ 107 roubles par paysan mâle. Voyez l’excellent Annuaire des finances russes de M. Vesselovsky (St-Pétersbourg, 1880).