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mariage est en quelque sorte la première condition du droit de succession ou mieux du droit de propriété ; dans la commune, nous verrons bientôt de même que le mariage est d’ordinaire la première condition de la jouissance des terres communales. La raison de cette singulière coutume est que, dans la famille comme dans la commune, il n’y a d’ouvrier complet que l’homme marié, celui qui avec ses bras offre à la communauté les bras de sa femme.

À certains égards, on pourrait dire que dans la famille du paysan, dans la grande famille patriarcale du moins, il n’existe pas de succession, qu’il y a seulement dissolution ou liquidation d’une société, chaque associé en pleine jouissance de ses droits ayant un titre égal à une portion de l’actif social. Si la parenté est une des conditions de l’hérédité, le sang ne donne pas seul droit à l’héritage ; il faut de plus l’association au chef de famille et le travail au profit de la communauté. Le terme de succession reste-t-il applicable à la vie populaire, c’est en ce sens que la mort du père donne aux fils mariés le droit de réclamer une part de l’avoir de la famille.

Il suit de là, selon la remarque de M. Matvéief, que le testament et les legs ne sont possibles que dans la famille étroite, où, au lieu de plusieurs associés ayant sur la maison un droit égal, il n’y a qu’un représentant des droits de famille. Dans ce cas, le père ou la mère, si cette dernière, étant veuve, était reconnue comme chef de maison, peuvent en mourant faire des legs. Ces legs ou testaments spirituels (doukhovnyia zavèchtchaniia), soit formulés par écrit, soit déclarés verbalement devant témoins, sont le plus souvent admis par la commune et par les tribunaux des paysans, d’autant plus que le peuple attache une sorte de respect religieux aux dernières volontés d’un mourant, et regarde même comme un péché de s’y opposer[1]. Le nombre de

  1. M. Matvéief, Zapiski Imp, Roussk. Géogr, Obchtchestva : sect. ethnogr., cite le texte d’un de ces legs spirituels p. 31 et 44. M. Tchoubinski (Troud,