Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/524

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linsky, comme un animal domestique[1]. Ce que le moujik cherche dans sa compagne, c’est avant tout et presque uniquement une bonne ouvrière. En certaines provinces, au moins chez les allogènes d’origine finnoise ou tatare, le paysan achète encore sa femme ; d’autres fois il l’enlève ou, selon l’expression populaire, il la vole, souvent sans la consulter, parfois même sans la connaître parce qu’elle est d’un autre village[2]. Dans la Petite-Russie, les rapports de la vie de famille sont d’ordinaire plus humains, l’affection a plus de part aux mariages, le sort de la femme est meilleur, elle jouit de plus de considération et de plus de droits. Cette supériorité des mœurs domestiques peut tenir en partie au caractère malo-russe, à ce que le climat est moins rude et le sang slave moins mêlé ; elle tient surtout à ce que, en Petite-Russie, le servage, ayant duré moins longtemps, a moins endurci les mœurs, à ce que, enfin, au lieu de vivre en famille agglomérée, sous le joug parfois pesant d’un beau-père et d’une belle-mère, la paysanne Petite-Russienne vit d’ordinaire seule dans son ménage avec son mari et ses enfants. En Petite-Russie même, la situation de la femme est du reste loin d’être enviable ; si elle semble bonne, c’est surtout par comparaison. Aux bords du Dnieper comme aux bords du Volga, le mari regarde encore sa femme comme un être inférieur, un être passif[3].

« Les siècles ont passé, dit le poète Nékrasof ; tout en ce monde a tendu vers le bonheur, tout a bien changé de

  1. Bélinski : Études sur le chant (Slovo) ou dit d’Igor, Œuvres complètes, t. IV.
  2. Ce rapt des femmes se rencontre particulièrement dans les villages mordves de la région du Volga. Parfois, il n’y a qu’un enlèvement simulé, du consentement de la jeune fille et des deux familles, cela pour éviter la kladka et les frais des noces régulières qui, d’après les rites populaires, sont, comme nous l’avons dit, fort élevés. (Voyez par ex. dans les Otetch. Zapîski, t. CCXLVII, p. 186-187, une étude de M. V. Trîrogof, intitulée Domokhosiaïne v Zémelnoï obchtchiné.)
  3. C’est ce qu’avoue un des plus sagaces investigateurs de la Petite-Russie. M. Tchoubinski, Troudy Etnogr. sta’ist. eksped. v zapadno-rousskii krai, section du sud-ouest, t VI, p. 36.