Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/554

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Ce partage inégal, par famille ou par cour (dvor), selon le nombre des ouvriers valides de chaque maison et leur aptitude au travail, cette répartition par tiaglo est donnée par certains écrivains russes, par Iouri Samarine et le prince Vassilichikof entre autres, comme le trait caractéristique du mir, le trait essentiel par où la commune grande-russienne se distingue de toutes les associations ou communautés agraires, anciennes ou modernes[1]. On se plaît à présenter ce mode de partage comme une solution du droit de propriété spéciale au peuple russe, et radicalement différente de toutes les institutions plus ou moins analogues. Le fait peut être vrai aujourd’hui, mais, au point de vue historique, l’observation est contestable. Ce procédé de distribution territoriale semble dériver, non d’une conception particulière de la propriété, mais simplement du mode de répartition de l’impôt et du poids des taxes. Cela est si vrai qu’on cite des communautés urbaines où le produit des terres communales est distribué entre les habitants, proportionnellement au chiffre d’impôts payés par chacun d’eux[2].

Un tel mode de partage, selon la capacité de travail des cultivateurs, ne convenait guère qu’à un pays où, pour le laboureur, la jouissance du sol était moins un droit qu’une charge. À le bien prendre, la culture du sol, vis-à-vis du mir, tout comme vis-à-vis de l’État ou du seigneur, pouvait être regardée comme une sorte de service public, de service obligatoire, auquel tout homme valide était astreint, dont

  1. Vasiltchikof : Zemlevladénié, t. II, p. 705.
  2. Un grand nombre de villes, en effet, possèdent des terres de culture ; les unes les afferment, d’autres les partagent à la manière du mir rural. Le système mentionné ici a été signalé à Mologa, chef-lieu de district du gouvernement de Iaroslavl. Les habitants sont divisés en onze sotnia ou centaines, et les prairies de la ville en autant de lots, que chaque sotnia fauche à tour de rôle ; le produit, au lieu d’être réparti par tête, par âme ou par famille, est distribué entre les membres de chaque sotnia, proportionnellement à la cote de leurs impôts respectifs. (Iakouchkine : Droit coutumier (Obytchnoe Pravo). — El. Reclus. Géographie universelle, t. V, p, 865.)