Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/614

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double ou triple d’habitants. S’il en est ainsi, moins de vingt-cinq ans après l’émancipation et la dotation territoriale des paysans, que sera-ce en un siècle ; que sera-ce en deux ou trois siècles[1] ?

Dans un empire comme la Russie, où, en Europe et en Asie, il y a des centaines de millions d’hectares inoccupés, où de vastes solitudes attendent en vain des habitants, l’on ne saurait, s’écrient les défenseurs du mir, s’inquiéter du manque de terres. Dans un tel État, il est aisé de réparer toutes les injustices de la nature ou de la société, aisé de résoudre le problème, insoluble pour les vieux États de l’Occident, d’une équitable répartition du sol et de la richesse. En Russie, il y a assez de place et assez de ressources naturelles pour égaliser autant que possible les inégalités sociales, pour supprimer le prolétariat, sans attenter aux droits de la propriété individuelle, des communes rurales ou du trésor. Il n’y a qu’à régulariser l’émigration ou plutôt la colonisation intérieure, il n’y a qu’à donner une direction et assigner une demeure aux milliers

  1. La gêne est déjà telle que les effets s’en font sentir sur le mouvement même de la population. Un statisticien éminent, H. Séménof, a fait une observation des plus curieuses. Dans les huit gouvernements de la région agricole centrale, l’augmentation de la population, par l’excédent des naissances, serait en proportion directe de l’étendue des terres échues aux paysans. Là où les paysans sont en possession de moins d’une desiatine par âme, l’accroissement depuis l’émancipation est de 16 pour 100.
    De 1 à 2 desiat. par âme, l’accroissement est de 17, 3 pour 100 ;
    De 2 à 3,   19 ;
    De 3 à 4,   21 ;
    De 4 à 5,   26,4 ;
    De 5 à 6,   27,6 ;
    Au-dessus de 6,   30.
    Statistika posemeln. sobstven, etc. 1880.
      Dans la commune russe, le poids des taxes et redevances eût pu être regardé comme un frein à l’accroissement de la population, taxée par âme mâle, si la revision des âmes fiscales se fût faite à époque régulière ; mais, dans l’intervalle d’une revision à l’autre, l’augmentation de la population n’accroissait pas les charges des communes et diminuait celles des individus, quant au principal impôt direct, la capitation, supprimée depuis 1886.