Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/63

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mier réveil national, a peu à peu cessé à mesure même de l’émancipation politique des petits peuples d’Orient sur le sol natal. C’est dans le Sud et en Crimée que se sont établies la plupart de ces colonies, fondées le plus souvent, comme celles des Allemands, par villages et par contrées. La région autour d’Odessa, avant de porter le nom de Nouvelle-Russie, reçut même de ses colons serbes le nom de Nouvelle-Serbie. Beaucoup de ces Orientaux ont pris en Crimée ou sur les côtes voisines la place laissée vide par des émigrants tatars ou nogaïs, en sorte qu’entre les deux empires russe et turc il s’est produit un double courant d’émigration et d’immigration, l’un attirant à lui les chrétiens, l’autre les musulmans. Ces petites colonies orientales, parfois à peine inférieures aux colonies allemandes pour l’agriculture, ont donné à la marine et au commerce du sud la première impulsion ; elles leur ont fourni à la fois des négociants et des matelots. Les ports de la mer Noire et de l’Azof, Odessa, Kherson, Mariopol, Taganrog, ont été longtemps des villes à moitié grecques et le sont encore en partie.

Allemands ou Orientaux, quels qu’aient été leurs services, ne peuvent réclamer une large part dans les millions d’habitants et les millions d’hectares de terre cultivée dont se sont enrichis en moins d’un siècle le sud et l’est de la Russie. Le grand colonisateur du sol russe, c’est le peuple russe, c’est le moujik. Dans ce fait si simple en apparence, que de difficultés, que d’infériorités de tout genre, si l’on y regarde de près ! Au lieu des hommes les plus entreprenants des États les plus avancés de l’Europe, comme en Amérique ou en Australie, un peuple que la nature et l’histoire ont longtemps retenu en arrière, un peuple de paysans, hier encore serfs, — au lieu de toutes les libertés politiques et civiles, au lieu de l’indépendance et presque de la royauté de l’individu un état autocratique, une administration tracassière, une solidarité communale qui lie l’homme à l’homme et attache le laboureur à la terre.