Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/73

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seurs de s’y constituer en nations, en peuples indépendants les uns des autres. Au lieu de provenir de la lente élaboration des conditions physiques, la multiplicité des races et des tribus n’est chez elle qu’un héritage historique. En dehors des landes glacées du nord, où ne peuvent vivre que des peuplades de chasseurs ou de pêcheurs, en dehors des steppes de sable ou de sel du sud-est, faites pour des pasteurs nomades, cette complexité de races et de tribus, loin d’être le résultat d’une adaptation au sol, loin d’être en harmonie avec le milieu extérieur, était en opposition avec lui. Au lieu de diversifier les races, la nature tendait à les rapprocher et à les ramener à l’unité. À tous ces peuples différents le sol refusait des frontières entre lesquelles ils pussent se retrancher, se grouper, mener une vie isolée.

Dans l’immence quadrilatère compris entre l’océan Glacial et la mer Noire, entre la Baltique et l’Oural, pas une montagne, rien de ce qui partage, rien de ce qui divise. Dans toutes ces plaines, aucun de ces compartiments naturels qui servent de limite et comme de cadre aux peuples. Sur cette surface unie, les différentes races ont été obligées de se répandre comme au hasard, ainsi que des eaux qui ne trouvent pas de faîte pour les séparer, point de bords pour les contenir. Alors même que les coutumes, la religion, la langue, les empêchaient de se mêler, elles étaient contraintes de vivre à côté les unes des autres, de se pénétrer, de s’entre-croiser de toute façon, comme des rivières qui se jettent dans le même lit, et qui à leur confluent roulent sans les confondre leurs eaux dans le même fleuve. Ainsi épars et juxtaposés, souvent enclavés les uns dans les autres, les peuples et les tribus de la Russie n’ont pu atteindre à une pleine individualité nationale. Épuisées en se déversant sur de trop grands espaces, ou réduites en minces fragments et comme brisées en morceaux, toutes ces races se sont plus facilement laissé soumettre à une domination unique, et, sous cette domination, elles se sont plus