Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/93

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entre les trois principales religions du vieux continent. Le Finnois s’est fait chrétien, le Turc ou Tatar musulman, le Mongol bouddhiste. À cette distribution ethnologique des cultes, il y a peu d’exceptions. C’est dans cette diversité de croyances, par-dessus toute autre chose, qu’il faut chercher les causes du sort si différent de ces trois groupes et, en particulier, du finnois et du tatar. La religion a préparé l’un à la vie européenne ; la religion y a soustrait l’autre. Avec l’islamisme, le Tatar a eu une civilisation plus précoce et plus nationale ; il a construit des villes florissantes comme l’ancien Saraï et Kazan ; il a fondé, en Europe et en Asie, des États puissants. Avec l’islamisme, il a eu un passé plus brillant, mais il est exposé à un avenir plus difficile : la foi musulmane, qui l’a préservé de l’absorption de l’Europe, l’a en même temps laissé en dehors de la civilisation moderne.

Ce sont les Tatars qui ont si longtemps valu aux Russes le nom de Mongols, et les Tatars eux-mêmes n’y ont qu’un droit contestable. Depuis la réforme entreprise au Japon par une sorte de Pierre le Grand asiatique, on ne peut savoir si de semblables épithètes seront toujours une injure ; elles n’en doivent pas moins être abandonnées à l’égard des Russes, non parce qu’elles sont blessantes, mais parce qu’elles proviennent d’une équivoque.

Les Russes ont à peine dans leurs veines quelques gouttes de sang mongol, ont-ils beaucoup plus de sang tatar ? S’il n’y avait eu, en Russie, d’autres invasions tatares ou turques que celles du treizième siècle, la solution de cette question serait aisée. On se convaincrait promptement que le peuple russe a peut-être moins de sang tatar que le peuple espagnol, de sang maure ou arabe. En Espagne, les Arabes sont demeurés bien plus longtemps, ils ont occupé une bien plus grande portion du territoire, ils se sont établis en bien plus grand nombre et ont tenu la péninsule sous leur souveraineté immédiate. En Russie, les Tatars, entrés au treizième siècle, ont été repoussés aux