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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/116

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croire en Russie. Toutes les pratiques coupables sont cependant loin d’avoir été déracinées, la dernière guerre d’Orient ne l’a que trop fait voir. Il se rencontre toujours des fonctionnaires qui continuent à toucher des honoraires irréguliers, et, comme le renchérissement de toutes choses a élevé le prix des faveurs officielles, les pessimistes prétendent qu’au lieu de décroître, la vénalité n’a fait que grandir. C’est là une évidente injustice ; ce que l’on pourrait dire, c’est que le mal a fréquemment changé de forme. Les prévarications manifestement criminelles, les concussions et malversations aux dépens du trésor, les exactions ou les fraudes aux dépens du public, sont devenues plus rares. En Russie comme ailleurs, les nouvelles mœurs financières, les grandes compagnies et les sociétés par actions, les maisons de banque, les emprunts d’État, les entreprises de travaux publics, la Bourse en un mot, avec tout son cortège de spéculation et d’agiotage, a ouvert à la vénalité des routes plus tortueuses, plus variées et, en même temps, plus couvertes et abritées que les anciennes. Le vulgaire et grossier pot-de-vin a fait place à des modes de séduction plus délicats, plus raffinés, et par là même plus dangereux. Au lieu de toujours se présenter, comme autrefois, sous un aspect brutal et répugnant, le mal s’offre aujourd’hui sous un visage discret, engageant, presque honnête. La limite entre le licite et l’illicite étant souvent difficile à tracer, la conscience se fait moins scrupule de la franchir. Les progrès économiques de l’empire y ont ainsi importé des moyens de corruption, inconnus jadis ; le crédit moderne a fait jaillir du sol de nouvelles sources de fortune, dont les eaux troubles ne sont heureusement pas accessibles à tous. Alors que ces nouvelles facilités, offertes à la cupidité des hommes en place, donnent lieu à tant de scandales dans des États plus libres et plus avancés, on ne saurait s’étonner des abus qu’elles provoquent sous un régime absolu et presque entièrement dénué de contrôle.