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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/119

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de scrupules ou de préjugés. L’empire a ainsi été plus d’une fois gouverné du fond du salon ou du boudoir d’une femme dont le nom et l’existence étaient inconnus de l’Europe. De tous les Étais contemporains, la Russie est peut-être le seul où la chronique scandaleuse conserve encore un véritable intérêt pour l’historien. À la fin du règne d’Alexandre II, par exemple, comme à Versailles dans les dernières années de Louis XV, toute la cour était divisée en deux camps : les partisans et les adversaires de la favorite impériale, et les premiers n’étaient ni les moins nombreux, ni les moins puissants. C’est là, on le sent, un sujet délicat que nous n’abordons qu’avec répugnance et sur lequel il nous déplairait d’appuyer. On comprend de reste, sans que nous ayons besoin d’insister, combien de telles mœurs sont propices à la vénalité et aux abus de toute sorte[1].

Avec de pareilles influences, alors que de semblables exemples ne restaient pas sans imitateurs à la cour et dans le haut personnel administratif, on imagine ce que pouvait être parfois la distribution des places et des pensions. À Saint-Pétersbourg, de même encore qu’à Versailles avant la Révolution, les pensions, les faveurs, les grâces de toute sorte sont toujours fort en honneur, et, comme jadis dans la noblesse française, presque personne n’est assez fier pour avoir honte d’en recevoir sa part. Outre les pensions en argent, forcément limitées par la pénurie du trésor, qu’elles contribuent à obérer, la cour russe a gardé jusqu’à Alexandre III, comme sous les vieux tsars, la précieuse ressource des arendes et des distributions de terres. À tel haut fonctionnaire qui se retire du service ou que l’on

  1. Nous n’en citerons qu’un exemple, encore récent et presque de notoriété publique. Sous Alexandre II. le ministère de la maison de l’empereur passait, dans les sphères bien informées, pour prélever sur divers services, en particulier sur les théâtres impériaux, des sommes considérables qu’on plaçait à l’étranger. Les économies ainsi réalisées ont été pour la plus grande partie employées au profit de la favorite, qu’Alexandre II a fini par épouser morganatiquement, quelques mois avant de tomber sous les bombes de Kibaltchich et de Ryssakof.