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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/164

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par les bureaux de la poste. Pour l’étranger, les gens qui veulent s’entretenir librement, font porter leurs lettres à la première station de l’Allemagne ou de l’Autriche ; peu de voyageurs passent la frontière sans s’acquitter de pareilles commissions pour leurs amis. Il existe, si je ne me trompe, une loi autorisant l’administration à décacheter les correspondances qu’elle transporte, et quand elle use de cette faculté, elle ne se donne souvent guère plus de mal pour déguiser les traces de ses visites, que des parents ou des maîtres qui lisent les lettres de leurs enfants ou de leurs élèves. On pourrait dire, du reste, que c’est encore là une conséquence du régime paternel ou patriarcal. Les hauts fonctionnaires mêmes partagent, à l’égard de la poste, les appréhensions du vulgaire. Au plus beau temps d’Alexandre II, ses ministres et ses conseillers évitaient de s’écrire par la poste, de peur de mettre un tiers dans leurs confidences[1]. Les diplomates qui ont l’imprudence de ne pas toujours correspondre par courriers spéciaux, n’échappent naturellement pas à cette inquisition. Un de nos ambassadeurs en Russie me racontait qu’ayant lu au prince Gortchakof une note du gouvernement français, le chancelier lui avait dit en souriant qu’il oubliait les commentaires dont cette note était accompagnée dans une lettre privée du ministre.

Quel peut être l’effet de pareilles pratiques, érigées en système depuis des générations ? Une éducation trop sévère, privée de toute expansion, rend les enfants renfermés, menteurs, sournois. Il en a été de même à bien des égards, pour les Russes, de toutes ces vexations et ces perpétuelles tracasseries de la police. La méfiance et la dissimulation sont devenues la ressource habituelle des victimes de ce régime de suspicion et d’espionnage. La pédante tutelle de la police a engendré, chez les uns, l’indif-

  1. Voyez, par exemple, dans notre étude intitulée Un homme d’État russe d’après sa correspondance inédite, les lettres de N. Milutine et du prince Tcherkassky.