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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/185

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respectueux des vieux usages par tradition, une si prompte élévation des affranchis de la glèbe au niveau de leurs maîtres de la veille eût pu avoir de réels inconvénients. En tout autre pays, cette juxtaposition d’hommes si différents par les idées et l’éducation, ce mode de représentation par catégories, par conditions sociales, ayant des intérêts aussi divers, ne serait probablement point sans péril. En Russie, les diverses classes ont pu avoir des délégués distincts, dans la même assemblée, sans que dans ces zemstvos il y ait encore rien eu qui ressemblât à une lutte de classes. L’avenir montrera si un tel mode d’élection doit compromettre la paix sociale, si la Russie peut toujours échapper au naturel antagonisme du seigneur et du paysan, du barine et du moujik, de la propriété individuelle et de la propriété commune. En tout cas, tant que ces deux modes de propriétés subsistent côte à côte et se partagent à peu près le sol, il semble difficile que chacun d’eux n’ait point aux États provinciaux ses représentants particuliers. Le dualisme de la représentation rurale n’est guère qu’une des conséquences du dualisme de la propriété foncière[1].

Une des raisons qui font régner la paix dans ces assemblées composées d’éléments si hétérogènes, c’est que les deux classes les plus importantes, les propriétaires et les paysans, s’y tiennent en équilibre, ou mieux, que la prépondérance y appartient d’ordinaire à la classe la plus cultivée, aux propriétaires[2]. La composition des zemstvos de district varie naturellement suivant les régions et suivant la répartition des terres entre la noblesse et les communes, entre l’un et l’autre mode de tenure du sol.

  1. Voyez tome I, livre VIII.
  2. On a même accusé les propriétaires d’avoir quelquefois abusé de leur influence en faisant voter par les zemstvos des mesures dans leur intérêt particulier, sans profit pour les paysans. Hordovtsef, Déciatilétié rousskago zemstva (1877). Peu d’assemblées territoriales me semblent aujourd’hui mériter ce reproche.