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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/303

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contentée de fondre de son mieux ce qu’elle dérobait ainsi à l’étranger, elle n’a pas uniquement copié ceux qu’elle pouvait considérer comme ses maîtres, elle a remonté jusqu’aux notions abstraites dont s’étaient inspirés ses modèles. Ce que le gouvernement impérial a pris comme règle, ce sont les maximes du droit public européen, les principes mêmes de la justice moderne. Si la réforme judiciaire a été la plus largement conçue et la plus résolument conduite de toutes les grandes réformes de l’empereur Alexandre II, c’est qu’au lieu de s’appuyer sur des données empiriques et sur les convenances du moment, elle a une base rationnelle ; qu’elle repose à la fois sur des idées générales, acceptées de tous les peuples modernes, et sur la pratique des États les plus civilisés. Aussi, malgré les déviations successives d’un gouvernement toujours trop disposé à revenir sur ses propres lois, cette réforme possède-t-elle ce qui manque souvent à ses contemporaines, l’esprit de suite, l’unité.

Quels sont ces principes qui servent de norme à la nouvelle organisation de la justice ? C’est d’abord la séparation du pouvoir judiciaire et du pouvoir administratif, l’indépendance des magistrats et des tribunaux, du plus humble au plus élevé. C’est l’égalité de tous les sujets du tsar devant la loi, sans distinction de naissance ou de grade, la suppression, devant les juges, des différences de classe ou de caste. C’est la publicité de la justice avec la procédure orale, les tribunaux, jusque-là fermés à la lumière, ouverts au grand jour pour fonctionner sous le contrôle de l’opinion et de la presse. C’est enfin la participation directe de la population à la justice, ici par le jury, là même par l’élection des juges.

Pour nous. Occidentaux, la plupart de ces principes n’ont rien de nouveau ni de singulier ; en Russie, au sortir du servage, ils excitaient bien des étonnements, des colères et des craintes, ils soulevaient l’opposition de toutes les influences intéressées au maintien de l’ancienne