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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/319

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sous le régime de la propriété collective, l’assemblée de village, le mir, source de tous les pouvoirs locaux, tranche souverainement toutes les questions touchant au partage des terres ou à la répartition de l’impôt, et possède sur ses membres une sorte de pouvoir disciplinaire qui s’étend jusqu’au bannissement et à la déportation en Sibérie[1].

On ne saurait exiger des juges de volost une instruction supérieure à celle de la moyenne des paysans. La plupart sont entièrement illettrés : sur cinq ou six, il n’y en a guère qu’un ou deux qui sachent lire et écrire[2]. Le plus grand nombre se contentent de tracer une croix au-dessous des actes rédigés par le pisar ou greffier communal. La loi permet aux communes de voter à leurs juges une indemnité, mais d’ordinaire ils restent sans rétribution. Pour les paysans, ces fonctions semblent ainsi le plus souvent une charge sans compensation, en sorte que d’habitude elles sont loin d’être recherchées. Beaucoup regardent cette magistrature gratuite comme une fastidieuse corvée ; dans plusieurs volostes on y appelle à tour de rôle tous les chefs de famille. De là des abus, de là le manque d’indépendance du tribunal, l’ascendant excessif de l’ancien (starchine) et surtout du greffier qui, dressant les actes, dicte fréquemment les sentences, et fait parfois trafic de son influence. À l’inverse de ce qui se voit en certains cantons suisses, pour des tribunaux plus ou moins analogues[3], l’autorité du scribe ou greffier, seul dépositaire de la science ou mieux des formules juridiques, loin de s’exercer au profit de la justice, tourne en faveur de l’intrigue et de la mauvaise foi, d’autant que, avec ses notions superficielles de droit, le scribe cherche souvent à substituer les principes de la loi écrite à ceux de la coutume, et introduit par là dans les tribunaux de bailliage une cause

  1. Voyez liv. I, chap. iii.
  2. Un seul d’après la commission d’enquête.
  3. Voyez M. G. Picot, la Réforme judiciaire (1881).