Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/341

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de politicians décriés. Ces magistrats, dépourvus de toute garantie personnelle contre les fluctuations de l’opinion, n’offrent eux-mêmes que peu de garanties à la société, qui les nomme et révoque à son caprice. L’ignorance, la partialité, la vénalité même, sont trop souvent le lot de ces juges, issus de la faveur populaire ou des calculs des partis. En certains États de l’Union, la justice, qui a pour mission d’assurer le respect de la loi et de maintenir les mœurs publiques, semble s’être dégradée en agent de corruption. Les vices de ce système sont si manifestes que, en dehors des étrangers, les publicistes les plus éminents de l’Amérique ont signalé cette magistrature élective comme une des principales causes de la décadence des mœurs privées et des mœurs politiques[1].

Malgré toutes ses sympathies pour l’Union américaine, ce n’est certes pas un tel modèle qui a séduit la Russie, ni décidé son gouvernement à livrer aux hasards de l’élection la magistrature la plus nombreuse de l’empire. En adoptant ce mode de désignation, le gouvernement impérial semble s’être préoccupé de mettre les nouveaux tribunaux de paix à l’abri des vices qui, au delà de l’Atlantique, accompagnent le système électif. Le choix d’un juge n’est pas abandonné aux habitants d’un canton judiciaire, mais bien remis aux représentants d’une circonscription plus vaste, en sorte que, pour son élection, chaque magistrat ne dépend que, dans une faible mesure, des hommes qui peuvent se présenter à son tribunal. Ensuite, ce n’est ni au suffrage universel, ni au suffrage direct des justiciables que la loi russe confère le choix des juges de paix ; c’est à des assemblées composées des délégués de la propriété foncière, et ces assemblées de propriétaires, le législateur ne les a pas laissées absolument maîtresses de désigner qui bon leur plaît, il a imposé à leurs élus certaines condi-

  1. Parmi les Américains qui ont condamné la magistratuare élective, on peut citer les plus illustres jurisconsultes entre autres Eszra Seaman, Kent et Story.