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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/348

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part aucun tchine, ou en sont restés aux premiers échelons du tableau des rangs. D’après la loi, les juges de paix peuvent être choisis dans toutes les classes de la société ; mais, comme le législateur exige d’eux une propriété immobilière, ce sont, en dehors des villes, des propriétaires fonciers, c’est-à-dire habituellement des nobles (dvoriane). La loi, qui impose aux candidats un cens de fortune, ne tient point compte de la richesse mobilière, comme si, en faisant de la nouvelle justice locale le privilège des propriétaires, le législateur eût voulu dédommager l’ancien seigneur, le pomêchtchik, des droits dont le dépouillait l’émancipation. Grâce à ce cens territorial, on pourrait dire que la noblesse se trouve indirectement en possession de ce droit de justice, dont quelques-uns de ses membres ont réclamé pour elle le monopole.

C’est là un fait digne de remarque et qui, pour une magistrature arbitrale, commune à toutes les conditions, peut sembler gros d’inconvénients[1]. Une justice ainsi élue et recrutée dans une des classes de la nation semble devoir présenter peu de garanties d’impartialité vis-à-vis des autres classes, vis-à-vis des commerçants, vis-à-vis des paysans et des anciens serfs. Or, dans la pratique, ce défaut est peu sensible ; on se plaint plutôt du défaut opposé. Si, dans les petits districts, là surtout où les zemstvos sont peu nombreux, les juges de paix se montrent parfois trop dépendants de leurs électeurs, trop dévoués à la grande propriété, on leur fait, dans la plupart des provinces, le reproche inverse. Le juge de paix laisse-t-il voir

  1. Dans les zemstvos peu nombreux, ne comptant, par exemple, qu’une trentaine de membres, il arrive que douze ou quinze propriétaires choisissent à leur gré tous les juges du district. Ces élections peuvent, dans ce cas, présenter parfois le singulier phénomène que nous avons signalé dans les élections provinciales et municipales, il peut y avoir autant et plus de candidats que d’électeurs. C’est une des raisons qu’on a fait valoir pour substituer dans les campagnes aux juges de paix élus directement par les assemblées territoriales, des chefs de canton, nommés par le gouvernement après avis des maréchaux de la noblesse. Sur cette nouvelle organisation qui n’est encore introduite que dans une partie de l’empire, voyez ci-dessous, p. 354-356.