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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/429

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légiées : cette suppression, l’émancipation devait l’accomplir en élevant tous les Russes au rang d’hommes libres.

Le knout, instrument cruel et meurtrier, avait été interdit dès les premières années du règne de Nicolas ; les verges devaient l’être par l’empereur Alexandre II. L’acte d’émancipation est de février 1861, l’oukase abolissant les verges est de 1863. La verge étant le corollaire naturel du servage devait disparaître avec lui. Cette petite réforme avait son importance, elle ne devait pas seulement établir dans le code pénal le principe de l’égalité devant la loi, elle devait rendre à tout Russe le sentiment de l’honneur et de la dignité personnelle.

La verge, comme tout ce qui tenait au bon vieux temps, avait gardé des partisans. Des conservateurs attardés se demandaient avec anxiété « comment un empire qui a dû sa grandeur aux verges pourrait se passer d’un tel agent de cohésion[1] ». En dehors même de ces esprits timorés, plus d’un homme cultivé se fût fait volontiers l’apologiste de cet instrument de correction qui n’atteignait que les épaules du peuple. Où trouver, disait-on, une peine plus simple et plus rapide, plus saine quand elle est appliquée avec mesure, plus économique pour la société qui l’inflige et le coupable qui la reçoit, une peine plus morale et plus, moralisatrice ? Fallait-il, pour de pures et abstraites considérations de point d’honneur, pour un faux sentiment de dignité que ne comprend pas l’homme du peuple, renoncer à un mode de punition qui ne laissait pas plus de trace sur son âme que sur son corps, qui, pour lui et pour sa famille, était moins pénible, moins dommageable, moins corrupteur que la prison par laquelle on l’a remplacé ?

Ces doléances auraient beau contenir une part de vérité, qu’on ne saurait regretter la disparition de pareils châti-

  1. Plaidoyer de M. Alexandrof dans le procès de Vêra Zasoulich.