Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/475

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exemplaires, chiffre élevé, avec une telle concurrence, pour un pays où le nombre d’hommes lettrés est encore restreint, et pour une langue qui compte si peu de lecteurs au dehors. Sous Alexandre Ier, sous Nicolas surtout, les revues, presque entièrement fermées à la politique, ouvertes en revanche à toutes les questions de philosophie, d’histoire, de littérature, riches en compositions originales et en traductions du français, de l’anglais, de l’allemand, régnaient sans rivales. C’était là que classiques et romantiques, occidentaux et slavophiles, se livraient les grands assauts littéraires et historiques, sous lesquels se masquaient souvent les préoccupations politiques, interdites aux écrivains. En aucun pays la haute presse mensuelle n’a eu plus d’influence ; on peut dire que la Russie contemporaine lui est redevable de la diffusion des connaissances et des idées dans la portion lettrée de la société. Grâce à elle, le propriétaire relégué au fond des campagnes, au milieu de serfs ignorants, assistait dans son domaine isolé aux joutes intellectuelles de Pétersbourg et de Moscou, et suivait sans effort toutes les évolutions des grandes littératures de l’Occident.

Les lois, la sévérité de la censure, tout, jusqu’à la difficulté des communications et à la poste qui, dans l’intérieur de l’empire, ne faisait guère que des distributions hebdomadaires, favorisait la prospérité des volumineuses publications mensuelles aux dépens des minces feuilles quotidiennes, si bien qu’en russe le mot journal a gardé le sens de revue[1]. Les chemins de fer et les télégraphes, non moins que l’adoucissement des lois sur la presse, devaient donner au journalisme quotidien une impulsion

  1. L’importance des revues littéraires est restée d’autant plus grande que la librairie est loin d’avoir pris le même développement qu’en d’autres pays de l’Europe. Il n’y a rien en Russie de comparable à nos grandes maisons d’éditeurs. Les bureaux des revues en tiennent plus ou moins lieu, tandis que la librairie indépendante se contente d’un rôle subalterne, ne faisant guère que réimprimer ce qui a déjà paru sous les auspices des recueils à la mode.