Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/52

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bitraire des assemblées ou des anciens, — l’intrigue et la vénalité dont l’ignorance et la simplicité rustiques n’ont pu préserver les administrations de commune ou de bailliage, — la complication et la cherté de ces rouages multiples, — le poids des taxes et le pillage des deniers de la commune, — le manque de règle dans l’assiette, dans la perception, dans l’emploi des impôts, — les irrégularités des comptes et souvent l’absence de toute comptabilité. Les défauts reprochés à ces petites républiques villageoises, qu’on aimait à se représenter d’avance comme d’obscures Salentes ou de vertueuses Arcadies, sont si graves et si nombreux que plus d’un Russe y voit une des principales causes de l’appauvrissement du moujik, en certaines provinces, depuis l’émancipation. De l’aveu de tous et des paysans mêmes, l’argent est omnipotent dans les communes, et l’eau-devie y règne en souveraine ; on n’y peut rien, on n’y fait rien sans elle. Loin de profiter à la masse des paysans, les franchises communales, grâce à l’affaiblissement des liens de famille et des vieilles mœurs, ne servent ainsi trop souvent qu’aux anciens peu scrupuleux, aux greffiers avides, aux cabaretiers et aux exploiteurs de village appelés koulaki.

Ce qu’il y a de particulièrement triste, c’est qu’au lieu de guérir, le mal semble n’avoir fait que s’envenimer dans les dernières années ; il est plus grand peut-être sous Alexandre III qu’au milieu du règne d’Alexandre II. La décadence du self-government des paysans est proclamée ou reconnue par le plus grand nombre des hommes compétents, et ce self-governent n’a qu’un tiers de siècle d’existence légale. La décadence des institutions communales daterait donc de leur affranchissement, l’émancipation aurait été fatale au libre gouvernement des paysans. Au lieu de s’y être retrempée, purifiée, éclairée, développée de toute façon, la commune se serait souillée, corrompue et atrophiée dans la liberté de ses membres. Assurément op ne saurait voir un spectacle plus affligeant,