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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/570

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la Baltique et la mer Noire, changeant sans cesse de nom, de déguisement, de rôle : ici mineurs maniant la pioche, là écrivains ou typographes, de façon qu’ils semblaient être à la fois partout, et, grâce à cette sorte d’ubiquité, décuplaient l’ascendant de leur parti. La main de Jéliabof et de Sophie Pérovsky, par exemple, se retrouve dans les attentats avortés du midi et dans l’explosion de Moscou aussi bien que dans la catastrophe finale de Pétersbourg.

Un de nos grands écrivains[1] a rêvé d’une société future où une corporation de savants, maîtres des secrets de la science, serait souveraine du monde. Certes, en dehors de tout songe pareil et d’aucune oligarchie savante, la connaissance continuellement accrue des lois de la nature, les progrès incessants de la physique, de la chimie, de la mécanique, mettront de jour en jour aux mains des pouvoirs publics des armes de plus en plus irrésistibles ; mais est-ce seulement aux pouvoirs réguliers, qui se feraient le plus souvent scrupule d’en user, que ces engins de destruction et ces machines infernales de l’avenir pourront prêter leur redoutable puissance ? Ce qui s’est passé dans notre siècle, ce que nous avons vu en Russie ferait parfois croire le contraire. La science avec toutes ses inventions et ses raffinements, avec ses machines ou ses poisons, n’est plus l’apanage d’un nombre restreint de privilégiés s’en léguant mystérieusement le secret, comme une sorte de révélation ou de doctrine ésolérique. Ses mystères ne sont pas des arcanes, connus des seuls initiés, confiés à d’obscurs hiéroglyphes ou transmis avec des rites imposants par une sorle de hiérarchie sacerdotale. La science, chez les modernes, n’a rien d’occulte ; ses procédés et ses découvertes, elle les enseigne au grand jour, elle les vulgarise dans toutes les écoles et dans tous les livres ; ses redoutables secrets, elle les met à la portée des haines individuelles ou des conspirations isolées. À en juger par

  1. M. Renan : Dialogues et fragments philosophiques.