Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/62

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prérogatives, qu’elles tenaient de la loi ou de la coutume, celles mêmes que ne possèdent, nulle part ailleurs, les municipalités urbaines ou rurales. C’est ainsi qu’elles restent en possession du droit d’exiler, on peut même dire, de déporter leur membres. Ce droit, la réforme le leur a maintenu ; mais elle n’en permet plus l’exercice que sous le contrôle du chef de canton et avec l’approbation du conseil provincial et du gouverneur. De même, le mir n’est plus maître d’imposer à son gré, aux paysans récalcitrants, des lots de terre et des parts d’impôts. La liberté individuelle peut ainsi trouver avantage à la restriction des franchises communales. Les communes de paysans ne pourront plus commettre les mêmes abus de pouvoir, mais seront-elles à l’abri de tout abus de pouvoir de la part des nouvelles autorités ?

Quelque zèle que mette la noblesse à répondre aux vues du souverain, une chose est certaine : la Russie ne saurait avoir les avantages de la tutelle administrative sans en ressentir les inconvénients. L’autonomie de la commune russe a vécu ; à tout le moins, elle est suspendue. En d’autres pays, on pourrait la dire morte à jamais ; mais une commune qui a survécu au servage a la vie dure. Elle est fondée sur des mœurs séculaires et sur la coutume nationale. La commune de paysans est l’unique institution spontanée de l’empire, la seule qui ait ses racines dans le sol et ne soit pas une création artificielle du pouvoir. C’est, comme aiment à dire les Russes, la seule institution organique de la Russie. Or, rien n’est précieux comme la vie ; et, une fois détruite, il est presque aussi malaisé de la rendre aux institutions qu’aux individus. Si les communes russes venaient à la perdre, tout le pouvoir des empereurs autocrates ne suffirait point à les ressusciter.

Les idées d’où est sortie la loi de 1889 ne sont pas nouvelles. Il y a une quinzaine d’années, déjà, l’assemblée de la noblesse de Pétersbourg avait encouragé des projets