Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/73

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centre historique toutes ces conquêtes diverses, toutes ces provinces plus ou moins centrifuges. La centralisation, née de l’unité du peuple dominant, a été ainsi renforcée par la variété des provinces soumises. Deux causes opposées ont abouti au même effet.

L’histoire de la formation de l’État russe est l’histoire même de la centralisation tsarienne. Une fois unifié par la politique des grands-princes de Moscou, ce pays, ouvert de tous côtés, exposé pendant des siècles aux invasions de tous les peuples, ne pouvait rester indépendant qu’en laissant toutes ses forces ramassées dans une seule main. Les longues luttes contre l’Occident et l’Orient, contre l’Europe et l’Asie, qui semblaient se disputer cette zone intermédiaire, ont accéléré la concentration des pouvoirs, qui est un des caractères historiques de la Russie. À ce titre, la centralisation et le pouvoir absolu, qui, là, comme ailleurs, marchaient de pair, ont longtemps été pour elle une condition d’existence. Des écrivains russes, les uns démocrates, comme Herzen, les autres slavophiles, comme les Aksakof, des écrivains de la Petite-Russie surtout, tels que l’historien Kostomarof, ont soutenu que la centralisation était contraire au génie slave, selon eux naturellement porté au fédéralisme[1]. Peut-être cela est-il vrai des Slaves de l’ouest ou des Slaves du sud, cela ne l’est point des Russes, des Grands-Russes au moins. La nature et l’histoire les ont également façonnés depuis des siècles à la centralisation ; s’ils lui ont dû la perte de toute liberté politique, ils lui doivent peut-être d’être seuls, de tous les peuples slaves, demeurés en possession de leur indépendance nationale.

L’état social et économique a concouru à la même

  1. Cette thèse de Herzen le reocontre, par eiemple, dans le Peuple russe et le Socialisme, p. 18. Kostomarof exprime des idées plus ou moins analogue dans ses études sur l’histoire nationale. L’éminent historien considère, par exemple, la période des apanages comme une manifestation spontanée des instincts fédéralistes du Slave russe avant la domination moscovite.