Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/79

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rement, les diversités de race, de langue, de religion, maintenaient une certaine diversité de régime, parfois même une certaine mesure de self-government.

Pierre le Grand, ici, comme en toutes choses, l’imitateur de l’Europe, voulut doter ses États d’une administration régulière à la moderne. Ce fut là une des œuvres principales du réformateur, et, entre les diverses tâches par lui entreprises, aucune n’était plus malaisée. Il semblait qu’il n’y eût qu’à emprunter les méthodes et les procédés de l’Occident. Pierre éprouva que les institutions ne se laissent pas si vite transporter d’un pays à l’autre, d’un peuple relativement civilisé à un peuple relativement barbare. Appliquant d’avance les théories du dix-huitième siècle, le tsar révolutionnaire traitait sa patrie comme une table rase sur laquelle il pouvait tout édifier à neuf, conformément aux principes de la science ou aux leçons d’autrui. À la place du chaos des anciennes masures moscovites, Pierre prétendait construire de toutes pièces une ville régulière et symétrique, aux rues larges, aérées, tirées au cordeau. Pour cela, Pierre Ier et ses successeurs manquaient d’une chose essentielle : ils manquaient de matériaux, ils manquaient d’ouvriers.

La centralisation européenne a ses formes propres, elle a un instrument particulier que nous appelons bureaucratie ; c’est cet outil indispensable qui faisait défaut à Pierre le Grand, qui pendant longtemps encore fit défaut à ses successeurs. L’empire Russe possédait la centralisation administrative sans en avoir les organes modernes. C’est là une vérité qu’il ne faut pas perdre de vue pour comprendre toutes les contradictions et les anomalies longtemps présentées par la Russie : à la surface, une tutelle administrative excessive ; au-dessous, le désordre, et parfois le chaos. Un système coordonné de fonctions, des institutions plus ou moins ingénieuses peuvent à la rigueur s’improviser ; il n’en saurait être de même d’une bureaucratie, d’un corps de fonctionnaires, parce que leur édu-