Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/87

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ministres des collaborateurs dont ils n’eussent pas fait choix.

Le souverain recourt souvent à un procédé peu propre à relever la dignité ministérielle et l’ascendant de ses collaborateurs officiels : à la tête des ministères, et parfois des plus importants, il place fréquemment, au lieu de ministres en titre, des suppléants, des gérants qui ne sont confirmés dans leurs fonctions qu’après un stage plus ou moins long. Cet expédient paraît n’avoir d’autre avantage que de permettre plus facilement de confier un portefeuille à des hommes qui semblent n’y avoir de droits ni par leurs talents, ni par leur expérience. D’autres fois, et cela n’a pas été rare sous Alexandre II, la direction des ministères a été abandonnée à des favoris de cour, à des hommes à la mode, à des politiques amateurs, pour la plupart aides de camp du souverain, en un mot, à ce qu’un roman de Tourguénef appelle des généraux de Bade[1].

Il semble de loin que la patrie de l’autocratie doive être le pays de l’harmonie des pouvoirs et de l’unité administrative. Vues à distance, les diverses administrations, avec leur forte centralisation bureaucratique, ressemblent à ces nouvelles horloges pneumatiques, dont les aiguilles, mues par le même ressort, marchent toutes à la fois et marquent toutes la même heure. En fait, il n’en est rien : l’unité d’action, qui, en théorie, semble l’apanage des régimes absolus, fait souvent défaut à la Russie. Ce gouvernement, où tous les pouvoirs procèdent de la même volonté, où toute l’autorité est concentrée dans la même main, où il n’y a officiellement qu’un seul moteur, est de ceux dont les rouages administratifs donnent lieu au plus de frottements, et, par suite, à la plus grande déperdition de forces.

La principale raison de cette anomalie est l’isolement des divers ministères, qui forment comme autant d’États

  1. Badenskiie Generaly (roman intitulé Fumée).