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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/93

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ou un premier minisire. Or, à l’inverse d’autres monarques absolus, les empereurs de Russie n’ont jamais eu de premiers ministres. Sur ce point, ils ont, par instinct ou par système, toujours suivi la maxime de Louis XIV, au risque de voir renouveler chez eux, avec plus de dommage pour le bien de l’État, le long duel des Colbert et des Louvois. Pour rester plus sûrement maîtres de leur pouvoir, pour garder, en fait comme en droit, la plénitude de leur autorité, les empereurs ont la prétention d’être leurs propres premiers ministres. S’ils n’en ont pas eu tous, comme Pierre le Grand, Catherine II et Nicolas, l’énergie ou la capacité, ils se sont, comme Alexandre II, appliqués avec un soin jaloux à maintenir une sorte de balance entre leurs conseillers, à opposer les unes aux autres les influences et les tendances, veillant à ne laisser à aucune opinion, à aucun personnage, un ascendant prédominant. Il n’a fallu rien moins que les attentats répétés du nihilisme, que l’impuissance avérée de son gouvernement en face des complots d’une bande de jeunes gens, pour décider Alexandre II, dans sa dernière année, à réunir tous les pouvoirs en une seule main et à confier au général Loris Mélikof une sorte de dictature.

Avec le régime autocratique, confessaient, au début du règne d’Alexandre III, les plus importants organes de la presse, il n’y a pas de place pour un premier ministre. À cet égard, Saint-Pétersbourg et Moscou, d’ordinaire en désaccord, semblaient du même avis. « Chez nous, écrivait en mai 1881 l’une des premières feuilles de Pétersbourg, le Poriadok (Ordre), un premier ministre ne pourrait être qu’un grand vizir. » Et cela est vrai, les rares hommes d’État, d’Araktchéief, sous Alexandre Ier, à Loris Mélikof, sous Alexandre II, qui ont joui d’une influence prépondérante, n’ont guère jamais été autre chose. Un Richelieu ou un Bismarck n’est pas plus possible en Russie qu’un Cavour ou un Robert Peel. L’empire peut posséder un chancelier, mais ce premier dignitaire de l’État est d’ordinaire