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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/96

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porter par le nombre comme par l’influence. C’étaient, notamment, d’anciens ministres d’Alexandre II, le général Loris Mélikof, ministre de l’intérieur, le général Dmitri Milutine, ministre de la guerre, et M. Abaza, ministre des finances. Ces trois personnages formaient une sorte de triumvirat dont l’ascendant semblait devoir être prédominant. À côté, ou, mieux, en face d’eux, se rencontraient des hommes appelés au pouvoir par le nouvel empereur, et qui passaient pour représenter les aspirations plus ou moins vagues du parti national, ou des néo-slavophiles. C’était d’abord le général Ignatief, l’ancien ambassadeur à Constantinople, alors ministre des domaines, puis le procureur général du Saint-Synode, M. Pobédonostsef, ancien précepteur d’Alexandre III, traducteur de l’Imitation, homme avant tout religieux et conservateur, en tout cas, mieux disposé pour Moscou et le parti national que pour les idées occidentales en vogue à Pétersbourg. Ce n’était pas un ministère composé d’éléments aussi disparates qui eût pu imprimer à toute la politique une direction uniforme. L’inexpérience russe pouvait seule s’y tromper, mais la déception devait être rapide. Au moment où l’on se flattait déjà de voir la Russie entrer en possession d’un vrai cabinet, éclatait une crise ministérielle, sans précédent jusqu’alors. L’empereur Alexandre III avait, en dehors de ses principaux ministres, arrêté les termes de son mémorable manifeste du 29 avril 1881, où, pour la première fois, il faisait part de sa politique à ses peuples et à l’étranger. Ce manifeste, qui affirmait solennellement et avec une sorte d’affectation le pouvoir autocratique[1], avait été préparé dans l’ombre par M. Pobédonostsef et le général Ignatief, avec l’appui du grand-duc Vladimir, frère de l’empereur, et avec l’aide de M. Katkof, le hautain rédacteur de la

  1. Dans les traductions de ce document publiées à Saint-Pétersbourg, on a quelque peu atténué le texte original, en substituant aux mots « autocrate » ou « autocratique » les mots d’« autorité » ou de « pouvoir suprême ».