Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/127

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de pierres précieuses de toute sorte. Les plus célèbres ont des parures de prix auxquelles l’Occident, ravagé par les révolutions, ne saurait rien opposer. Il en est qui, aux heures de péril national, ont prêté à la patrie leurs diamants et leurs émeraudes. Le moujik jouit visiblement du luxe de ses images ; sur la tête voilée de ses sombres vierges byzantines il aime à voir reluire des diadèmes d’impératrice. Ce goût, naturel aux pauvres, est si général que là où font défaut les pierres fines, on y supplée avec le verre et les fausses perles. Partout, jusque dans d’humbles villages, la Vierge et les saints sont vêtus d’or et d’argent. La plupart des images russes ont la tête et les mains peintes, tandis que le corps est couvert de lames de métal qui, selon le mot de Théophile Gautier, leur forment une sorte de carapace d’orfèvrerie[1].

L’art religieux de la Russie a conservé le caractère byzantin. Les types et les méthodes du Zoographos grec sont demeurés en honneur chez les moines de la Moscovie presque autant qu’au mont Athos. À le voir ainsi traverser les âges, on dirait que l’art apporté de la Sainte Montagne s’est congelé dans les glaces du Nord. Jusqu’en ces peintures, recopiées depuis des siècles sur des copies et souvent repeintes en même temps que redorées, on sent parfois comme un écho affaibli des grands types primitifs des quatrième et cinquième siècles. Ainsi, des barbares christs sur le trône des fresques absidales l’œil peut remonter, de loin en loin, jusqu’au fameux christ de Sainte Pudentienne à Rome. Ainsi, la Vierge aux bras étendus, avec l’enfant sur la poitrine, reproduit encore aujourd’hui la Vierge en orante des catacombes de Sainte-Agnès. Dans

  1. Il est à remarquer que cet usage de recouvrir les icônes, d’un revêtement qu, comme disent les Russes, d’une chasuble de métal (riza), ne remonte qu’au dix-huitième siècle. Antérieurement, au lieu de couvrir l’image de plaques d’argent ou de vermeil ne laissant voir que la tête, les mains et les pieds, les Russes avaient le bon goût de ne revêtir ainsi que la bordure de l’icône (opletchié).