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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/195

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disent de l’Église et de l’autorité patriarcale s’appliquerait aussi bien à l’État et à l’autocratie.

La vérité, qui se trahit çà et là, c’est que l’autocratie entend être seule. Elle veut être hors de pair ; elle n’admet pas, à côté d’elle, d’autorité qui lui puisse être comparée. C’est précisément parce que l’État est une monarchie absolue, et le tsar un autocrate, que l’Église doit cesser d’avoir une constitution monarchique, et le patriarche disparaître. Entre l’État et l’Église, entre le pouvoir temporel et l’autorité spirituelle, il ne doit y avoir ni comparaison ni conflit ; et, pour cela, le meilleur moyen, c’est qu’ils n’aient pas une constitution analogue. L’autocratie est un soleil qui ne peut tolérer dans son ciel aucun astre rival. Sur ce point, le tsar russe renchérit sur l’autocrator byzantin. Dans la Russie de Pierre le Grand, il n’y a qu’un pouvoir suprême ; à côté du trône impérial, il n’y a pas de place pour le trône patriarcal. Le « Règlement » le confesse avec une sorte de naïveté : il importe de déraciner l’erreur populaire sur la coexistence de deux pouvoirs. — « Le simple peuple, dit Pierre par l’organe de Prokopovitch, ne voit pas en quoi la puissance ecclésiastique diffère de la puissance autocratique. Ébloui par la haute dignité et la pompe du suprême pasteur de l’Église, il s’imagine qu’un tel personnage est un second souverain, égal à l’autocrate ou même supérieur à lui ; il regarde l’ordre ecclésiastique (doukhovnyi tchin) comme un autre État et un meilleur État (gosoudarstvo), » Pierre touche ici à la formule si souvent opposée au clergé ; il ne veut pas que l’Église forme un État dans l’État. Pour lui en enlever la possibilité, il lui enlève son chef, craignant que la foule ne voie dans le patriarche une sorte d’empereur spirituel. À l’entendre, le peuple s’était habitué « à considérer, en toutes choses, moins l’autocrate que le pasteur suprême, jusqu’à prendre parti pour le second contre le premier ; se figurant ainsi embrasser la cause même de Dieu ». D’après son Règlement, c’est donc bien un pouvoir rival que Pierre renverse