Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/211

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à ses prêtres. Le pauvre maniaque eût aussi bien pu dire la messe en qualité de grand maître de l’ordre de Malte qu’en qualité de chef de l’Église russe. Le tsar n’a aucun caractère ecclésiastique. Ses droits vis-à-vis de l’Église lui viennent de son pouvoir civil ; ce n’est pas comme chef du clergé, c’est comme autocrate, qu’il intervient dans l’administration ecclésiastique.

Il faut toutefois faire ici une distinction essentielle. Si le tsar reste un laïc, si, dans les affaires religieuses aussi biep que dans les affaires civiles, l’empereur agit en qualité de chef de l’État, ce n’est point comme chef d’État laïc, à la façon moderne ou à la manière occidentale. S’il n’a aucun caractère ecclésiastique, le tsar a, pour la masse du peuple, un caractère religieux. Il est l’oint du Seigneur, préposé par la main divine à la garde et à la direction du peuple chrétien[1]. Le sacre sous l’étroite coupole d’Ouspenski lui a conféré une vertu sacrée. Sa dignité est hors de pair sous le ciel. Ses sujets de toutes classes lui ont, collectivement ou individuellement, prêté serment de fidélité sur l’Évangile[2]. L’autocrate couronné, par les soins de l’Église, selon le rit emprunté à Byzance, est, par le fait de l’onction, non seulement le défenseur de l’Église, mais, à certain égard, le suprême représentant de l’orthodoxie. Le sacre

  1. Voyez plus haut, livre I, ch. iv. Ce sentiment se trouve naïvement exprimé dans une adresse envoyée à l’empereur Alexandre III par une stanista de Cosaques du Don, à l’occasion de l’attentat de mars 1887. « La loi du Seigneur, disaient ces Cosaques, nous enseigne que les Souverains sont désignés et sacrés par le Seigneur lui-même. C’est Lui qui leur donne le sceptre et le pouvoir suprême ; c’est Lui qui gouverne les hommes et délègue son pouvoir à qui il lui plaît. Comme l’œil est fait pour diriger le corps humain, de même le Souverain est donné à un peuple pour le guider dans la bonne voie. Le Souverain est sur la terre l’image de Dieu, car il n’y a personne au-dessus de lui. Le cœur du Souverain est entre les mains de Dieu… Tel est l’enseignement de l’Écriture sainte et des antiques traditions de nos ancêtres… »
  2. « Nous Cosaques du Don, Tes fils et fidèles sujets, nous sommes prêts comme l’ordonne le serment que nous T’avons prêté, à Te faire le sacrifice de nos biens de notre vie, de tout ce qui est en notre pouvoir, selon l’exemple de nos ancêtres. » (Adresse de la stanitsa de Oust-Belokaliventak, en