Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/247

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artisans des villes, aux paysans. Le contingent des classes dirigeantes, de la noblesse ou des professions libérales est très faible. La vie formaliste du moine russe, presque tout entière absorbée en pratiques machinales, a peu d’attraits pour les natures cultivées. Il se cache cependant sous la robe noire du religieux quelques hommes du monde, d’anciens officiers par exemple. J’ai entendu citer des hégoumènes qui avaient commandé des régiments avant de commander des couvents. Pareils au P. Zosime des Frères Karamazof de Dostoievsky, ils avaient demandé aux cellules d’un monastère la paix ou l’oubli. Les anciens soldats ne sont pas rares parmi les moines ; sous le régime du long service militaire, beaucoup de vieux troupiers échangeaient l’uniforme contre le froc, et la caserne contre le cloître. Parmi les religieux sortis du peuple, plus d’un aurait pu faire la même réponse que le moine de Vologda à l’Anglais Fletcher : « Pourquoi es-tu entré au couvent ? lui demandait l’envoyé de la reine Elisabeth. — Pour manger en paix. »

Dans les monastères se voient en même temps les deux extrémités du clergé, les hommes les plus intelligents et les plus ignorants, les plus cultivés et les plus grossiers. Il entre au couvent des hommes mûrs, de vieux prêtres que l’âge y conduit, qui viennent chercher un asile pour leur vieillesse ; il y entre des jeunes gens qui ne prennent l’habit que pour s’élever dans la carrière ecclésiastique. Parmi les recrues fournies par le clergé se rencontrent, à la fois, les sujets les plus brillants et les fruits secs des séminaires. Les uns sont condamnés à un long noviciat et n’arrivent même point toujours à la prêtrise ou au diaconat (en Russie, comme aux premiers siècles de l’Église, un grand nombre de moines ne sont pas prêtres) ; — les autres ne font que traverser le cloître pour monter à l’épiscopat et aux dignités de l’Église. Tandis que, en Occident, les religieux renoncent le plus souvent aux honneurs de l’épiscopat et de la prélature, sauf dans les pays de mis-