Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/272

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une classe attachée à l’autel, comme il y en avait une attachée à la glèbe. C’est ce qui advint ; les fils de popes furent élevés au séminaire, et les emplois ecclésiastiques furent réservés aux séminaristes. La coutume ayant rendu le mariage des prêtres obligatoire, il fallait leur assurer des femmes ; à leurs filles il fallait assurer un établissement. Les filles de popes furent destinées aux clercs, et les clercs aux filles de popes. Aux filles, comme aux fils du clergé, il fallut une autorisation spéciale pour sortir de la classe sacerdotale et se marier en dehors d’elle.

Ainsi, par le fait même des besoins de la société, le clergé russe, avec ses femmes et ses enfants, se trouva constitué en véritable caste. En dédommagement de cette sorte de servitude sacrée, il reçut certains avantages : on le compta au nombre des classes privilégiées[1]. Il fut exempt du service militaire, exempt des impôts personnels, exempt des châtiments corporels, précieuses prérogatives, si elles avaient toujours été respectées, si les supérieurs ecclésiastiques ou les fonctionnaires laïques eussent plus souvent daigné se conformer aux lois.

Cette constitution du clergé tenait à l’état de choses sorti du servage, elle devait cesser avec l’émancipation. En 1864, trois ans après l’affranchissement des serfs, l’empereur Alexandre II fit tomber les murs séculaires de la caste sacerdotale. L’accès du sanctuaire fut ouvert à toutes les classes, et toutes les carrières furent ouvertes aux enfants du clergé. Cette émancipation du corps ecclésiastique ne produira ses conséquences que dans un temps assez éloigné. Si la loi permet au clergé de se recruter en dehors de lui-même, les mœurs le lui rendent encore difficile. Tant que les autres classes de la nation, que le noble, le marchand, le paysan, seront, par leur éducation ou par des liens civils, retenus en dehors du sacerdoce, le clergé restera dans le peuple une classe à part.

  1. Voyez t. I, liv. V, chap. i.