Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/280

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bourses » (ainsi nommait-on dans le peuple les séminaires) ; Pomialovsky y avait lui-même été élevé comme boursier. À une certaine époque, ces maisons avaient si mauvaise réputation que, pour les peupler, la police était obligée de recourir à une sorte de presse parmi les enfants du clergé[1]. Les professeurs, mal payés, mal traités par les supérieurs monastiques, étaient aussi misérables et aussi mécontents que leurs élèves. Comment, après cela, s’étonner que les séminaires russes aient longtemps été une pépinière de radicalisme ?

Aujourd’hui même, en dépit des réformes accomplies par le comte Tolstoï et par M. Pobédonostsef, l’esprit des séminaires orthodoxes n’est pas toujours beaucoup plus religieux. Le séminariste libre penseur est un type qui n’a pas encore disparu. Sous Alexandre III, les écoles du clergé se sont parfois montrées non moins indisciplinées que les gymnases civils ou les Universités. Les révoltes n’y sont pas sans exemple. On a vu, à Moscou, en 1885, le métropolite contraint de recourir aux bons offices de la police pour dompter une rébellion de son séminaire. Comme correction, les mutins furent, dit-on, fustigés jusqu’au sang, manu militari, en présence du métropolite, qui les excitait au repentir, après avoir, selon les mauvaises langues, béni de sa main les verges. Deux ou trois ans plus tôt, toujours sous Alexandre III, les séminaristes de Voronèje, mécontents de leur recteur, s’étaient approprié, contre lui, les procédés des conspirateurs politiques contre le tsar. Ils avaient tout simplement tenté de faire sauter leur supérieur au moyen de matières explosibles placées dans un calorifère donnant sur son cabinet. Et ce n’était pas, chez ces futurs ecclésiastiques, une invention nouvelle ; deux ans aupara-

  1. Mémoires de D. Rostislavof, Rousskaïa Starina, janv. 1880. Cf. O Doukhovnykh outchilichtchakh v Rossii, ouvrage anonyme du même auteur. Ce Rostilavof, professeur d’académie ecclésiastique, écrivit ensuite, toujours sous le voile de l’anonyme, un livre sur le clergé blanc et le clergé noir. Pour n’être pas victime des rancunes de ses supérieurs, il lui fallut de hautes protections.