Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/305

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tane et ses vêtements supérieurs. On l’étendait à terre à demi nu : quatre hommes tenaient le patient par les quatre membres, au pied du divan de Monseigneur, de façon que l’œil épiscopal pût mesurer les coups. Des prêtres étaient parfois, sur l’ordre de l’évêque, contraints de tenir leur confrère, pendant que les verges lui étaient administrées par les gens du prélat, et cela devant tout le monde. Le châtiment était cruel, le sang coulait. La loi qui exemptait le clergé du service militaire n’était guère mieux respectée des chefs ecclésiastiques ; pour faire d’un prêtre un soldat, ils n’avaient qu’à le déposer. Encore sous Nicolas, un certain Mgr Eugène, évêque de Tambof, avait ainsi fait raser et incorporer dans l’armée nombre de ses popes. En une seule fois, il avait envoyé au régiment toute une fournée de prêtres et de séminaristes[1]. S’ils ne sont plus fouettés pour une peccadille ou enrégimentés comme soldats sur un caprice épiscopal, les popes peuvent toujours être emprisonnés sur une sentence de leur évêque et de son consistoire. Ils peuvent aussi (et avec eux parfois les laïques) êlre condamnés « à la pénitence ecclésiastique ». Dans ce cas, c’est un couvent qui sert de geôle ; les clercs ainsi punis sont, d’ordinaire, internés dans un monastère. L’Église a ses prisons aussi bien que ses tribunaux. La forteresse de Souzdal a ainsi été transformée en maison de détention pour les membres du clergé ; elle avait encore pour commandant, en 1887, un religieux, l’archimandrile Dosithée.

La dépendance et la misère du clergé orthodoxe n’ont pas été étrangères au formalisme de l’orthodoxie russe. Pour le pope, écrasé sous le poids des dédains du monde et des préoccupations matérielles, la mission du prêtre se rabaissait trop souvent à un rôle tout extérieur, tout cérémoniel. Dans une pareille existence, la science et l’étude étaient superflues ; aucun espoir de s’élever au-dessus de

  1. Le souvenir s’en est conservé dans le peuple sous le nom de « triage d’Eugène. » : Douhassof. Histoire de la région de Tambof.