Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/343

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son influence sur le tsar Alexis, il gouvernait l’État presque autant que l’Église. C’était une chose hardie qu’une telle œuvre d’érudition dans la Moscovie antérieure à Pierre le Grand. Par l’ordre du patriarche, d’anciens manuscrits grecs et slavons furent rassemblés de toutes parts ; des moines de Byzance et de l’Athos furent appelés à comparer les versions slaves aux originaux grecs. Des livres liturgiques, Nikone effaça les interpolations de l’ignorance ou de la fantaisie. Les nouveaux missels imprimés, le patriarche les fit adopter par un concile qui en imposa l’usage à tous les États moscovites[1].

« Un grand tremblement me prit, dit un copiste du seizième siècle, et l’épouvante me saisit quand le révérend Maxime le Grec me donna l’ordre d’effacer quelques lignes d’un de nos livres d’église[2] » Le scandale ne fut pas moindre sous le père de Pierre le Grand : la main qui touchait aux livres sacrés fut, de toutes parts, traitée de sacrilège. Soit instruction, soit esprit de corps, le haut clergé soutint le patriarche ; le bas clergé et le bas peuple opposèrent une vive résistance. Après plus de deux siècles, un grand nombre de fidèles persistent toujours à garder les anciens livres et les anciens rites, consacrés par les conciles nationaux et la bénédiction des patriarches. C’est là le point de départ du schisme, du raskol, qui déchire encore l’Église russe. À la prendre de haut, cette contestation roule sur l’épineuse question de la transmission et de la traduction des textes sacrés, question qui plus d’une fois a divisé les Églises de l’Occident. En Moscovie, il n’y avait pas dix hommes capables de porter, en connaissance de cause, un jugement sur le fond de la dispute : la querelle n’en fut que plus violente et plus longue. Des moines, des diacres, souvent de

  1. Les corrections apportées aux livres liturgiques par Nikone n’ont pas toujours suffi à rétablir la pureté du texte. Aussi a-t-il été parfois question d’une nouvelle revision ; mais le schisme suscité au dix-septième siècle par l’entreprise de Nikone est peu encourageant pour ses imitateurs.
  2. Prénié Daniila mitropolita Moskovskago s’inokom Maksimom, p. 10 ; Schédo-Ferroti, Le schisme, p. 32.