Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/345

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trois doigts, les dissidents avec deux doigts comme les Arméniens. Les premiers admettent comme nous la croix à quatre branches, les seconds ne tolèrent que la croix à huit branches, ayant une traverse pour la tête du Sauveur et une autre pour ses pieds. L’Église, depuis Nikone, chante trois alléluia, les raskolniks en chantent deux. Les dissidents justifient leur entêtement par des interprétations symboliques ; d’un simple rite, ils aiment à faire toute une profession de foi. Ainsi, dans leur signe de croix, ils prétendent avec les trois doigts fermés rendre hommage à la Trinité, et avec les deux autres à la double nature du Christ, en sorte que, sans aucune parole, le signe de la croix devient une adhésion aux trois dogmes fondamentaux du christianisme : trinité, incarnation, rédemption. Ils interprètent de même le double alléluia venant après trois gloria, reprochant à leurs adversaires de négliger dans leurs rites l’un ou l’autre des grands dogmes chrétiens. Ces interprétations, appuyées sur des textes corrompus ou de prétendues visions, montrent de quel singulier alliage de grossièreté et de subtilité s’est formé le raskol.

À en juger par l’origine de la querelle, le culte de la lettre, le respect servile de la forme est l’essence du schisme. Pour le Moscovite en révolte contre les réformes de Nikone, les cérémonies semblent être tout le christianisme et la liturgie toute l’orthodoxie. Cette confusion entre les formes du culte et la foi s’exprime dans le nom que se donnent à eux-mêmes les dissidents. Non contents de l’appellation de vieux-ritualistes, staroobriadtsy, ils prennent le titre de vieux-croyants, starovèry, c’est-à-dire de vrais croyants, de vrais orthodoxes, car, à l’inverse des sciences humaines, dans les choses religieuses c’est toujours l’antiquité qui fait loi ; les innovations même ne s’y font qu’au nom du passé. Cela est particulièrement vrai de l’Église grecque, qui a mis sa gloire dans l’immobilité, et fait de la fidélité à la tradition l’unique critérium de la vérité. Ici encore, lorsqu’ils se refusaient à toute apparence